Louis Caron est né à Sorel en 1942. Au fil des années, il a écrit une œuvre littéraire importante comprenant plusieurs ouvrages, dont la trilogie des Fils de la liberté (Le Canard de bois, La Corne de brume et Le Coup de poing), L’Emmitouflé, Tête heureuse, Il n’y a plus d’Amérique et Racontages. Il a également collaboré à plusieurs émissions radiophoniques à titre de rédacteur tout en cosignant les premiers scénarios de la série télévisée Lance et Compte avec Réjean Tremblay.
Dans ses récits, Caron se laisse inspirer par l’histoire. Lorsque le gouvernement du Québec lui a remis l’insigne de chevalier de l’Ordre national du Québec, en 2008, il a été souligné que Caron donnait «à ses compatriotes le goût de se réapproprier leurs racines1». En effet, par ses mots et ses «racontages», Caron fait voyager le lecteur à travers le temps, les émotions et les lieux. Ce faisant, il pose un regard éclairé et humain sur les moments marquants de l’histoire du Québec, dont les Rébellions de 1837, la conscription et la crise d’Octobre de 1970. En le lisant, le lecteur entend sa voix envoûtante et enveloppante tout en se plongeant dans un univers nord-américain près de la nature et des racines d’un peuple. Grand conteur, Louis Caron peint des paysages historiques à l’aide de ses œuvres, qui gagnent à être lues et relues!
Dans un documentaire intitulé Louis Caron : l’enfant des îles, réalisé en 1998 par Vic Pelletier et Guylaine Dionne, on peut entendre l’auteur parler de Sorel et de ses îles, très présentes dans ses souvenirs. Chez lui, Sorel, c’est la nature, la chasse aux canards, le fleuve, le lac Saint-Pierre, les îles, l’hôtel Saurel, le centre-ville… C’est l’atmosphère d’un endroit hantant son imaginaire. Ainsi, affirme-t-il, lorsqu’il écrit et qu’il a besoin de décrire une ville ou une scène citadine, c’est à celle de son enfance qu’il pense. Celle-ci étant pour lui l’endroit où il a commencé son aventure terrestre et où il souhaite la terminer.
Voici quelques citations où Caron évoque Sorel et sa région dans deux de ses romans :
«Le loup de mer trônait à découvert sur son ber. Même sur l’île aux Fantômes, on ne voyait plus guère ce genre d’embarcation. Vingt ans plus tôt, les amateurs de nautisme se procuraient encore à bon compte, aux chantiers navals de Sorel, des chaloupes de sauvetage de cargos désarmés. D’habiles bricoleurs les transformaient en petits palais flottants, cabine de bois peinte en blanc, deux hublots de chaque côté comme des yeux naïfs et deux châssis sur la cabine pour former pare-brise. Bruno avait acquis cette merveille en même temps que son chalet. Il ne l’avait pas soignée davantage que tout le reste. Des cloques de peinture noire hérissaient sa coque d’acier. Le bois pourrissait aux entournures des hublots2.»
«C’était à l’hôtel Saurel, un vétuste édifice de brique de cinq étages, entre le marché public et les élévateurs à grains du port. L’établissement présentait en façade les vestiges de son prestige d’antan, grand hall de marbre et bar-salon à lourdes tentures, mais dès qu’on atteignait les étages, on constatait l’état de délabrement du bâtiment. De longs corridors étroits peints en vert aigre, des portes muettes sur lesquelles se lisaient des numéros exagérément élevés, quatre cent dix-sept, quatre cent dix-neuf, un tapis aux arabesques usées à la corde. La tristesse suintait les murs. Depuis la fin de la glorieuse époque des commis voyageurs, les propriétaires de l’hôtel Saurel ne tiraient plus leurs revenus que de leurs bars et de la salle de réceptions. Les épaves de la ville, des vieux à la retraite, occupaient quelques chambres et la salle à manger en échange de leur chèque de pension gouvernementale. Leur silhouette toussoteuse hantait les escaliers sonores. L’usage de l’ascenseur leur était interdit3.»
«Ballottée, la chaloupe dérivait. Les saules de la pointe est de la dernière île aux Sables agitèrent leurs branches aux feuilles jaunies. Au-delà, le fleuve enflait pour former le lac Saint-Pierre, une petite mer intérieure qui ne se résorbait qu’une cinquantaine de kilomètres en aval4.»
«Quelque part devant, était-ce tout près ou encore loin, la pointe de l’île de Grâce s’avançait dans le fleuve et viendrait tôt ou tard à la rencontre du radeau. Il faudrait alors trouver l’entrée du chenal des Barques et là, contre toutes apparences, on serait en sûreté, d’abord parce que le vent sauterait de l’île des Barques à l’île du Moine en passant au-dessus du chenal, et ensuite parce que ce chenal étant très étroit, on aurait ses berges pour se guider. Le patron repassait chaque élément du paysage dans sa mémoire, les saules inclinés sur les rives de glaise, la profondeur de l’eau qui avait presque une odeur pour lui tant il la sentait, les canaux qui fuient soudain en s’enfonçant au hasard des îles nombreuses, certaines trop exposées à la débâcle pour entretenir des arbres, riches d’herbe cependant, et d’autres, serties de saules sur leur pourtour pour protéger à l’intérieur une espèce d’érable appelée «plaine du lac» par les habitants des environs. Le fleuve, qui coule paisiblement depuis Montréal jusqu’à Sorel, pressent à cet endroit qu’il va se répandre aux proportions d’une mer intérieure, le lac Saint-Pierre, et il jette une centaine d’îles dans son cours comme pour s’accrocher à la terre5.»
«Le vent du nord s’intensifiait. Le lac Saint-Pierre ne le supporte pas. Ce qu’on prend pour une brise, autour des maisons et entre les granges, est une tempête sur le lac Saint-Pierre; quand c’est tempête autour des habitations, c’est fin du monde sur cette mer intérieure6.»