Le carré Royal est un lieu qui a inspiré plusieurs artistes dont Dominic Champagne1, qui raconte que ce parc l’a inspiré dans la mise en scène du spectacle Love, du Cirque du Soleil. Face au parc, il est pertinent de souligner le fait que la bâtisse de la brasserie Les Tire-Bouchons a été construite par Georges-Isidore Barthe, un écrivain et notable sorelois du 19e siècle.
De tous ceux qui parlent du carré Royal dans leurs œuvres, Arthur Prévost est celui qui en parle le plus abondamment. Contemporain de Germaine Guèvremont, Arthur Prévost s’est surtout fait connaître à titre de journaliste. Au cours de sa carrière, il a écrit pour plusieurs journaux dont Le Jour, Montréal Matin, Le Devoir et Le Petit Journal. Il a également travaillé pour CJSO, la radio soreloise dont il est l’un des fondateurs. Depuis 2007, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) remet une bourse2 qui porte son nom à un jeune journaliste afin que celui-ci puisse se perfectionner. Au cours de sa vie, Prévost participa également à l’émission télévisée «Les Insolences d’une caméra» à titre de figurant.
En tant qu’écrivain, Prévost a publié une dizaine d’ouvrages dont Les contes de Sorel. Il y raconte des histoires du Sorel des années 1940.
Ce livre est intéressant tant pour les descriptions de la vie citadine de ces années-là, faites par l’auteur, que pour les publicités des commerces de l’époque qui s’y trouvent. En effet, pour financer la publication de son livre, Prévost avait vendu des espaces publicitaires aux commerçants sorelois. Dans ses contes, Prévost évoque plusieurs lieux de la ville et parle entre autres du camp militaire de Sorel, du pont Turcotte, du carré Royal, de la patinoire de Saint-Joseph, du théâtre L’Éden ainsi que de quelques voies importantes dont le chemin Saint-Ours, le chemin Sainte-Anne et la rue Augusta qu’il surnomme «la rue Sainte-Catherine» de Sorel. Sous la plume de Prévost, on découvre une ville riche et active où tout semble possible.
«Ce parc, qui mérite de porter le nom de "Royal" impressionne toujours. Est-ce ces arbres qui lèvent leurs grands bras effilés vers le ciel; est-ce ses nombreuses allées qui forment un réel drapeau Union Jack, est-ce les magnifiques maisons qui l’encerclent; est-ce la démarche, parfois nonchalante, parfois pressée des gens qui y passent? On ne sait pas. Tout semble converger vers un but : faire un magnifique coin blanc qui, en hiver jette de la lumière ou un magnifique coin de verdure qui rend l’été plus souriant. C’est un parc royal, il s’appelle "Royal", ses allées tracent dans la neige ou la verdure l’Union Jack3.»
«Tout le long de ce chemin, on admire de jolies maisons de fermes et quelques résidences qui feraient la joie de bon nombre de citadins4.»
«Très actif, il se demandait ce que l’on faisait le soir à Sorel, pour passer ultimement le temps. Durant quelques jours il regarda autour de lui, se promena sur la rue du Roi très populeuse avec ses magasins chics et sur la rue Augusta, "la rue Sainte-Catherine de Sorel" puis autour du magnifique parc dont il ne connaît pas encore le nom et dont les grands arbres l’impressionnent autant que les maisons qui l’encerclent. Puis ce fut l’hôtel de ville qu’il vit un soir et qu’il retourna voir un dimanche avant-midi. Et puis, ce furent les usines prodigieusement modernes et spacieuses dont il ne dit pas beaucoup de choses vu la situation internationale actuelle. En somme, tout lui sembla progressif dans cette ville. Pas un magasin vide à louer, pas un restaurant inoccupé. Un magnifique marché avec un théâtre où les spectacles, surtout ceux du mardi soir, sont de première qualité et le reste et j’en passe beaucoup5.»
«Arrivé à Sorel, on cherche un hôtel. On a l’embarras du choix. Tout de même, cette recherche permet à nos quatre jeunes de visiter assez bien la ville, le parc, l’élévateur, les églises, les chantiers maritimes, les vitrines de la rue du Roi et des autres artères et le reste6.»
«une Soreloise qui a déjà merveilleusement réuni dans un volume plusieurs pages sur Sorel et surtout sur Sainte-Anne-de-Sorel et quelques-unes des cinquante-deux îles. Et c’est avec un plaisir extrême qu’on lit la vie, qu’on vit la vie des Beauchemin7».
Née à Sorel en 1957, Élise Turcotte est la petite-fille de J.C.A. Turcotte, l’homme qui a donné son nom au pont reliant le centre-ville de Sorel à Saint-Joseph-de-Sorel. Si elle est partie de Sorel à l’âge de deux ans, Turcotte affirme y revenir «en pèlerinage annuel, revoir la maison où elle est née8».
Enseignante en littérature au Cégep du Vieux Montréal, elle a obtenu un baccalauréat en arts et une maîtrise en études littéraires à l’Université du Québec à Montréal. Elle a ensuite obtenu son doctorat à l’Université de Sherbrooke. En plus de publier des recueils de poésie, dont deux ont été couronnés par le Prix Émile-Nelligan, elle a fait paraître des romans, des recueils de nouvelles et plusieurs livres pour enfants.
Tout au long de sa carrière d’écrivaine, Turcotte a remporté une panoplie de prix dont celui du Gouverneur général en 2003 pour son roman La maison étrangère.
Dans «Journal d’une mortelle», récit tiré de son recueil Pourquoi faire une maison avec ses morts, Élise Turcotte met en scène notamment un petit chat nommé Sorel qui fait partie d’une famille avec quatre pigeons et deux enfants et que la narratrice a baptisé ainsi en l’honneur de la ville où elle est née. Comme celle-ci le souligne : «Ce n’est pas un hommage au passé, au contraire, c’est une réinvention de la géographie. Sorel nous empêche d’être happés par le noir. Car c’est noir. Gris. C’est infect, et les moisissures prolifèrent9.»
Elle parle aussi de Sorel dans son ouvrage intitulé Autobiographie de l’esprit.
Nicolas Gilbert est principalement connu à titre de compositeur. Son catalogue comprend « une quarantaine d’œuvres de musique de chambre, de musique vocale et de musique orchestrale, qui ont été entendues dans le cadre de séries de concerts et de festivals à Montréal, Toronto, Chicago, Mexico, Lima, Paris, Lyon, Milan, Berlin, Amsterdam, Belgrade, Varsovie, Pékin, Shanghai ainsi que dans plusieurs autres villes d’Amérique, d’Europe et d’Asie10». Il est le lauréat de plusieurs prix prestigieux, dont quatre Prix Opus. Il a également écrit quatre romans parus chez Leméac : Le récital, Le joueur de triangle, La fille de l’imprimeur est triste et Nous.
Dans son roman Le joueur de triangle, où le lecteur découvre à la fois l’univers des orchestres et celui d’un musicien urbain qui tente de s’élancer dans la vie, son protagoniste, Louis, un percussionniste de l’OSM, doit jouer une note de triangle lors d’un concert, une seule, mais la rate. Il se rend à Sorel pour rencontrer Guy Deléglise, un vieux musicien qui a passé quarante ans au sein de l’OSM et qui a connu tous les problèmes propres aux percussionnistes. Louis arrive à Sorel en autobus et il descend à la vieille gare de train, convertie jusqu’au début des années 2000 en gare d’autobus.
De là, il s’aventure dans la ville qu’il découvre et décrit dans le passage suivant :
«Je descendis de l’autobus, au terminus de Sorel, vers quinze heures. Je constatai que ce qu’on appelait pompeusement, dans le dépliant de la compagnie d’autobus, le "centre-ville" de Sorel, n’était en fait que… pas grand-chose. Il y avait, d’un côté de la rue, une série de bâtiments industriels assez anciens, en brique rouge. Entre deux de ces bâtiments, je pus apercevoir un cours d’eau; trop étroit pour être le Saint-Laurent, ce devait être le Richelieu. Soit que les usines fussent désaffectées, soit qu’on n’y travaillât pas le dimanche, je n’y vis aucun signe d’activité. En fait, le seul endroit qui semblait fonctionner était une gargote passablement déglinguée baptisée "Patate du Roi", d’où je vis sortir quelques adolescents.
Je continuai sur la rue du terminus, comme Cardinal me l’avait indiqué, jusqu’à un petit parc carré, assez coquet pour l’endroit. C’était sans doute le véritable cœur de Sorel, il y avait plus d’activité, les maisons aux alentours étaient un peu mieux entretenues. Je dépassai le parc, tournai à droite sur la rue suivante et arrivai rapidement devant la maison de Deléglise : deux étages, toit rouge, petite fenêtre ronde au-dessus de la porte d’entrée, palissade blanche, bouleau, pas d’erreur possible, c’était exactement la maison que Cardinal m’avait décrite. Je me dis que c’était tout de même absurde d’arriver là sans m’être annoncé. Qu’allait-il penser, Deléglise, lui qui ne me connaissait ni d’Ève ni d’Adam? Et cette histoire de triangle était déjà complètement invraisemblable en elle-même, il allait me prendre pour un cinglé, c’était inévitable11.»
Hugues Corriveau est un poète, essayiste, nouvelliste et romancier québécois né en 1948 à Sorel. Docteur en études françaises, il est associé à l’avant-garde formaliste des années 1970-1980 et au rajeunissement de la nouvelle. En plus d’une œuvre comptant une vingtaine de titres, Corriveau collabore régulièrement à plusieurs revues dont La Nouvelle Barre du jour, Ellipse, Mœbius, Études littéraires, XYZ et Spirale. Il est également critique de poésie pour la revue Lettres québécoises et collabore régulièrement au Devoir. Maintes fois mis en nomination pour le Prix de poésie du Gouverneur général du Canada, Corriveau a vu son œuvre couronnée de plusieurs prix au fil des ans, dont le Prix Alfred-DesRochers, pour son roman La Maison rouge du bord de mer, le Grand Prix littéraire de la ville de Sherbrooke, qu’il a remporté à trois reprises – une fois pour son recueil de nouvelles intitulé Courants dangereux, une autre fois pour son ouvrage intitulé Parc univers et une dernière fois pour Paroles pour un voyageur –, le prix Alain-Grandbois, pour son recueil de poésie Le livre du frère, et le Prix Adrienne-Choquette pour son recueil de nouvelles Autour des gares.
Dans ce recueil, Corriveau cite une phrase extraite d’À la recherche du temps perdu, de Marcel Proust, dans chacune des cent courtes nouvelles écrites «autour du thème général du train»12. À l’aide d’une écriture ficelée et juste, il transporte ainsi le lecteur sur des quais de gares, dans des wagons, dans des halls et dans une multitude d’endroits se situant près d’un chemin de fer.
C’est dans ce contexte et cette atmosphère qu’il écrira un rare texte portant sur sa ville natale. Ce texte, intitulé Afin de quitter la ville, dépeint une ville laide où les habitants pensent faux, jugent haut et cultivent « une haine sourde à l’égard de tout et de rien pour le seul plaisir du mal13». Cette ville, le narrateur de la nouvelle la déteste avec une hargne qui «jamais ne se [démentira]»14. Elle étouffe ses habitants. Elle est source d’une angoisse sans borne. C’est une ville qu’il faut fuir, dont il faut s’évader. C’est ainsi que Corriveau écrit que «le train fut pour [son narrateur] plus qu’un train, il fut le seul signe vivant qu’on pouvait sortir de cet endroit, qu’on pouvait s’échapper15». Dans la nouvelle, toutefois, malgré son désespoir, le narrateur ne parvient pas à quitter «cet air confiné qui [l’a vu] naître16», un bris mécanique empêchant le départ du train. La ville le nargue, l’avale de nouveau…
Cette gare, qui est au cœur de la nouvelle, est celle située au 191 de la rue du Roi. C’est cette même gare qui, après avoir accueilli des trains, est devenue, pendant quelques années, le terminus d’autobus où arrive le protagoniste du Joueur de triangle, de Nicolas Gilbert. Aujourd'hui, on trouve dans cet édifice Le Marché urbain Pierre-de-Saurel et Les Ateliers Je suis capable.