Germaine Guèvremont naît le 16 avril 1893 à Saint-Jérôme, dans les Laurentides. C’est en 1920, quatre ans après avoir marié le Sorelois Hyacinthe Guèvremont, fils du notaire Alfred Guèvremont (1855-1935) et d’Olive Beauchemin (1861-1950), qu’elle s’installe à Sorel, plus précisément au 54 de la rue Charlotte1. C’est dans cette ville que, en 1926, elle devient correspondante de la Gazette puis journaliste au Courrier de Sorel. Elle restera à son poste jusqu’au déménagement de sa famille à Montréal, en 1935.
Dans la métropole, Guèvremont collabore à Paysana, revue pour laquelle elle écrit de nombreux contes qui sont réunis et publiés en 1942 dans un recueil intitulé En pleine terre. À Montréal, elle travaille aussi à l’adaptation radiophonique du Déserteur, première série des Belles histoires des Pays d’en haut, avec l’auteur, son cousin Claude-Henri Grignon. En 1942, Germaine Guèvremont se lance dans la rédaction de son roman Le Survenant, où elle raconte le séjour d’un inconnu, surnommé le Survenant, dans la famille Beauchemin. Elle en termine l’écriture en 1944 et le publie à compte d’auteur l’année suivante. Le roman connaît aussitôt un succès retentissant et vaut de nombreux prix à son auteure.
Deux ans plus tard, Germaine Guèvremont publie Marie-Didace, la suite de son premier roman. Elle y raconte comment la petite communauté du Chenal du Moine survit au départ du charismatique Survenant.
Au cours des années 1950, ses deux romans sont adaptés pour la radio et la télévision de Radio-Canada; les séries créées s’intitulent Le Survenant, Le Chenal du Moine et Marie-Didace. C’est Germaine Guèvremont qui en rédige les scénarios.
En 1957, employant l’argent gagné avec ses livres et leurs adaptations, Germaine Guèvremont se fait construire un chalet à Sainte-Anne-de-Sorel, dans l’îlette au Pé. Elle y passera les onze derniers étés de son existence.
Germaine Guèvremont est morte le 21 août 1968, quatre ans après son mari. Elle est enterrée au cimetière des Saints-Anges, sur le boulevard Fiset, à Sorel-Tracy.
En 2005, Érik Canuel a porté Le Survenant de Germaine Guèvremont au grand écran à l’aide de Diane Cailhier qui en a signé le scénario.
Dans En pleine terre, où Guèvremont parle déjà de la famille Beauchemin et de l’univers du Chenal du Moine, les personnages se rendent à Sorel pour aller aux nouvelles et faire du commerce. La ville portuaire est leur fenêtre sur le monde. Le voyage jusqu’à la ville est toutefois long et on en revient fatigué. Sorel, c’est aussi là où se tiennent les procès, une source de divertissement pour le père Didace. Ainsi, «dès qu’un terme des assises criminelles commençait, il trouvait mille prétextes pour se rendre à Sorel2».
Dans Le Survenant, Sorel est encore le lieu où l’on se rend pour faire des affaires. De plus, en hiver, lorsque le pont de glace est formé sur le fleuve, le père Didace s’y amène pour rencontrer des «habitants des îles du nord [qui vont] au marché3».
Sorel est aussi l’endroit où l’on va pour boire un coup, comme l’écrit Germaine Guèvremont : «Aux premiers chemins allables, les deux hommes se rendirent à Sorel. Ils n’en revinrent que le soir, gais et éméchés4.» Dans le même ordre d’idées, c’est à Sorel qu’Amable va voir le «Survenant ben en fête [qui] ne se tenait pas sur ses jambes5».
Sorel est également le lieu où le père Didace rencontre l’Acayenne, «une créature de la Petite-Rue, à Sorel6». C’est également là que se trouvent les chantiers maritimes dont le sifflet se fait entendre jusqu’au Chenal du Moine lorsqu’il lance «son cri»7 à sept heures.
Pour Angélina, Sorel est l’endroit où aller pour se faire remarquer aux côtés du Survenant : «Elle, si effacée d’ordinaire, s’enorgueillit à la pensée de se promener au bras du Survenant, dans la rue des magasins, à Sorel, à la vue du monde entier8.» Malheureusement pour elle, elle finira par y attendre en vain le Survenant qui ne se présentera pas à leur rendez-vous. Elle arpentera «le trottoir en face de l’hôtel que fréquentaient les habitants9» jusqu’à ce qu’elle se lasse et décide de rentrer seule et piteuse au Chenal du Moine.
Dans Marie-Didace, Sorel est encore une fois le lieu où aller pour commercer et boire. C’est là que se tient le marché. C’est aussi là qu’il y a parfois des concerts, notamment dans le kiosque du carré Royal. Comme l’affirme Angelina : «Une journée de marché, à Sorel, j’avais vu affiché sur un arbre du carré la pancarte «Concert ce soir», et le kiosque décoré pour recevoir la fanfare de la Musicale Richelieu10.» En évoquant ce fait, Angelina se souvient en réalité d’une aventure qu’elle a vécue avec le Survenant. Ce concert, elle y était allée avec lui, mais y avait finalement assisté seule, le Survenant l’ayant abandonnée pour aller vaquer à d’autres occupations. De la sorte, lorsque «la musique était finie, les lumières éteintes11», elle l’attendait toujours. Elle avait encore dû rentrer seule au Chenal du Moine.
C’est à Sorel qu’Angélina se rend pour acheter des cartes postales dans l’intention d’écrire au Survenant pour avoir de ses nouvelles, chose qu’elle ne fera toutefois pas : «les deux cartes restèrent au fond d’un tiroir12».
Alors qu’ils sont à la recherche d’Amable, Didace et Phonsine se rendent à Sorel dans le but de l’y trouver. Ils font alors le tour de la ville. Par ce qu’ils voient, le lecteur est à même de découvrir le Sorel de l’époque :
«Sorel. Sanglée d’un pont de glace, la ville, somnolente sous ses voiles de brouillard, ne semblait bouger.
Après L’Ami du Navigateur, ils visitèrent les grands quais, les caves du marché, les chantiers, s’encourageant l’un l’autre, à mesure que le temps passait, avec l’espoir d’apprendre au prochain endroit quelque chose d’Amable. Mais personne ne pouvait rien dire de lui.
Dans les rues passantes, les ornières étaient à la terre. Le cheval y avançait péniblement. Plutôt que de prendre les chemins cahoteux des petites rues, Didace laissa les patins du traîneau racler la chaussée, afin d’épargner des secousses à Phonsine. Peu à peu, la ville s’éveilla. Dans le port le radoub des bateaux commençait. Parfois d’un hublot émergeait une tête de manœuvre. Des peintres ceinturaient de vermillon les cheminées noires. Par intervalles, l’air perméable apportait le résonnement de grands coups de maillet que des calfats appliquaient au flanc des chalands de bois.
Au seuil des maisons, des rentiers s’attardaient à prédire la débâcle. Place royale, des jeunes gens, par grappes, navigateurs ou compagnons, s’entretenaient de leur engagement prochain. À l’approche des filles, ils se taisaient. Mais dès qu’elles les avaient dépassés, de nouveau ils haussaient la voix, la plaisanterie à la bouche. Si l’une d’elles, plus hardie, se retournait pour leur donner la riposte, ils se tordaient de rire. Leur figure basanée portait à la fois l’assurance des garçons élevés dans les villes et la marque de l’air marin. Après l’engourdissement d’un hiver sédentaire, il leur tardait de reprendre à naviguer12.»
À quelques kilomètres du Chenal du Moine, Sorel fourmille. C’est un port, un lieu de commerce, d’activités sociales et de fêtes, voire d’une certaine débauche reliée à l’alcool et aux hôtels, et surtout, c’est une fenêtre sur le monde pour les habitants du Chenal du Moine.