Arrêt 6

Drame d’une vie réelle…


Georges-Isidore Barthe

Arret6 GeorgesIsodoreBartheGeorges-Isidore Barthe1 est un politicien, journaliste et écrivain né en 1834. Il a été maire de Sorel, député fédéral de Richelieu et traducteur officiel de la Chambre des communes à Ottawa. Propriétaire de nombreux journaux dont Le Bas-Canada, il a publié Drames de la vie réelle en 1896. Dans cet ouvrage, il raconte le fait divers qui deviendra le sujet, un siècle plus tard, du roman Kamouraska, d’Anne Hébert.

Anne Hébert

Cousine de Saint-Denys Garneau, Anne Hébert2 s’impose rapidement parmi les meilleures romancières et poètes québécoises du 20e siècle. Reconnue pour sa langue épurée et exigeante, elle connaît un retentissant succès avec Kamouraska, un roman qui se déroule en grande partie à Sorel et qui lui vaut beaucoup de prix importants. L’œuvre sera adaptée au cinéma par Claude Jutra.

Dans Kamouraska, Hébert raconte l’histoire d’Élisabeth d’Aulnières. Cette dernière revient à Sorel, la ville de son enfance, pour échapper à la violence de son mari, Antoine Tassy. À l’ombre de la Maison des gouverneurs, elle devient l’amante du docteur George Nelson, de qui elle attendra bientôt un enfant, et qui ira à Kamouraska assassiner le mari avant de fuir la justice aux États-Unis. Accusée dans cette affaire, Élisabeth sera éventuellement acquittée et déménagera à Québec où elle épousera le notaire Jérôme Rolland, avec qui elle refera sa vie.

Voici dans les mots d’Anne Hébert, une description de Sorel :

«D’où vient ce calme, cette lumière douce promenée sur une petite ville déserte ? Sorel. Ses rues de quelques maisons à peine. Maisons de bois. Maisons de briques. Square Royal. Rue Charlotte. Rue Georges. Coin des rues Augusta et Philippe. Le fleuve tout près coule entre des rives plates. Les longues îles vertes, propriété de la commune, là où paissent les vaches, les chevaux, les moutons et les chèvres.

La vie est paisible et lumineuse. Pas une âme qui vive. Je sens que je vais être heureuse dans cette lumière. Le fleuve lisse, la lisière des pâturages sur l’eau. Cette frise des bêtes placides broutant à l’infini. Je m’étire. Je soupire profondément. Est-ce l’innocence première qui m’est rendue d’un coup, dans un paysage d’enfance ?

Depuis un instant il y a quelque chose qui se passe du côté de la lumière. Une sorte d’éclat qui monte peu à peu et s’intensifie à mesure. Cela devient trop fort, presque brutal. J’ai envie de mettre mon bras replié sur mes yeux, pour les protéger contre l’éblouissement.

Soudain, cela s’arrête et se fixe sur une seule maison de briques rouges, angle des rues Philippe et Augusta. Isolée de ses voisines, par cette clarté qui lui tombe dessus, la maison se met à briller. Précise comme si on la regardait à la loupe. Lustrée. Émaillée de lumière. Le petit jardin derrière pâlit sous un si grand soleil. Les hortensias bleus paraissent poudrés de blanc. Deux étages de briques. Des volets de bois verts, strictement fermés. Une galerie de bois, les minces colonnes. Le fronton légèrement découpé dans le bois, fine dentelure peinte à la chaux, si blanche, si fine et folle. Je pourrais y toucher. Chaque dent, chaque nervure vivante dans un éclairage terrible et fort, dur, vif, jaune. Un soleil fixe au-dessus de la maison, un peu à gauche.

En vain, je tente de m’écarter de ce centre lumineux. Le bourg tout entier semble plongé dans l’obscurité. Il n’y a que ma maison de la rue Augusta, au coin de la rue Philippe, qui émerge étincelante, comme un éclat de verre. Je voudrais m’éloigner, pourtant. Retrouver la rue Georges et ma maison natale. Échapper à l’emprise de cette redoutable demeure de la rue Augusta. Ma vie ! Toute ma vie dans son tumulte et sa fureur m’attend là, derrière les volets fermés de la rue Augusta3.»

ENTREVUE AVEC Mathieu Pontbriand

  1. Pour plus d'informations sur Georges-Isidore Barthe, voir Mathieu Pontbriand, Sorel & Tracy, un fleuve, une rivière, une histoire, Société historique Pierre-de-Saurel, Sorel-Tracy, 2014.
  2. Pour plus d’informations sur Anne Hébert, voir www.anne-hebert.com/index.php - Site consulté le 15 avril 2015.
  3. Anne Hébert, Kamouraska, Paris, Seuil, 1970, p. 14.