2e Prix
Le deuxième prix a été attribué à une lettre intitulée Mon albatros: mon déplumé.
Félicitations à l'autrice du texte, Amélie Guyot.
Bonne lecture à toutes et tous!
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1er octobre 2018
Mon albatros/ mon déplumé _
Hier l’orage grondait. Au premier éclair les filles ont mis leur tête sous un linge. J'entendais les battements de leur coeur. On se tenait la main et attendait que quelqu’un vienne nous chercher. Ce matin avant qu'elles ne se réveillent, seule devant la glace avec sa fatigue au corps j'ai vérifié ce qui tient sans prendre. Ce qui projette sans vouloir. J'ai attendu en vain le facteur et me suis laissée dériver. Elles ne savent rien des transitions et des chambres d'échos. Elles ignorent tout des triangulations qui sont la géométrie même du désir. La journée nous fabriquons du partage en parlant des nuages. Qui changent sans cesse. Et qu’il faut toujours re-commenter.
Mon cygne noir ma fauvette le sens-tu comme moi ? Quelque chose tourne encore entre nous. Les immobilités se suivent. Des discontinuités parfaitement déprises les unes des autres. Guidées par d’autres immobilités. Plus belles encore. Les heures s'étirent sous ton silence. Je détaille le moelleux rouge des sièges d’opérette sur lequel seul l’un de nous est assis. Comme le roulis ininterrompu de l’escalator qu’un autre gravit. Où le sucre glace des madeleines perdu à la commissure d’une lèvre qui aujourd’hui ne sera pas embrassée. Tu le sais je te l'ai dit à Grand Point lors de notre dernière rencontre je suis en quête d'un point de rebond. Tu dis vouloir faire tenir ensemble le vide et le plein. Tu dis cet amour là possible. Quand j'ai une vision épiphanique du présent pour lequel tout doit se vivre. Pour lequel je crois que tout peut être sacrifié. Depuis six mois j'alimente le délire en fractionné. Accepte que tu sois dans deux vies et seule celle-ci nous inclut. Tu es loin. Tes filles et moi ne sommes pas toujours vivantes. Nous cherchons comment nous inscrire dans le temps. Dans la lumière. Dans une famille. Dans ce qui devrait être ta priorité.
Un message par jour. Au minimum. C'est ce qu'on s'était promis. Entretenir le fragile par de petits riens. Avec toi mon oiseau roucouleur je l’ai lu je le vis je le sais ce qui lie ce sont les cycles. Et les mots. Parce qu’ils bougent. Ils évoluent. Ils se répètent. Aujourd'hui encore écrire permet d’activer un Nous si difficile à habiter et mettre en mouvement. Nous attendons. Tu ronronnes et tu diffères. Entre chaque ligne il est impossible ne pas lire cette contradiction entre ce qu’on écrit et ce qu’on promet qu’on fera. Et qu’immanquablement tu fuis. L'incertitude me raidit. Et les projets que j’ai pour ta peau mangent le sommeil. J’aime te lire la nuit comme si tes chuchotements pouvaient s’éclaircir. Devine derrière ta ponctuation saccadée tes gestes et l’autre appartement. Et toutes ces choses que tu ne dis pas. Comment on peut se perdre l’un l’autre dans le temps qui passe et se resserre. Comment recevoir des photographies qui cachent ce que tu tais. Combien ces images te permettent d’attendre. Tu les montres pour soulager puis calmer. Je les regarde pour gagner du temps. Pour autant le corps de comparaison manque. Et aussi belles qu’elles soient ces images n’en sont pas moins des images. La synthèse d’un discours ramassé. Tu n’es pas là.
Nous trois & moi sous toutes les coutures